Platon, sa famille, et ses frères de langue et de culture

11/16/20253 min read

Depuis la fin/disparition de la Grèce antique, par son intégration dans l'Empire romain, puis dans l'Empire byzantin, jusqu'à notre époque, soit plus de deux millénaires, les publications concernant les Dialogues, ont été fort nombreuses mais concernant Platon lui-même, ont été, au contraire, rares. Evidemment, le fait que nous ne disposions pas d'archives réelles et crédibles a contribué à laisser le créateur de "l'Académie" dans une certaine obscurité. Dans son "Platon", publié par la collection "Que sais-je", aux PUF, Jean-François Mattéi résume l'enfance et la jeunesse de Platon en moins d'une page, pour se concentrer sur sa vie d'adulte, surtout dès lors qu'il se mit à créer ses oeuvres, à voyager pour les connaissances (Egypte) ou pour donner corps à sa pensée politique (Sicile). Si, pour Socrate, sa famille connue fut composée de son père et de sa mère, la famille de Platon l'est plus, soit parce que l'un d'eux a pu jouer un rôle dans l'Histoire même d'Athènes, soit parce que Platon fait référence à l'un d'eux dans l'une de ses oeuvres. Son père, Ariston, était fils d’Aristoclès, descendant d’un ancêtre également ainsi nommé, un « archonte éponyme », autrement dit le magistrat le plus important de la cité, dont le nom est associé à une année d’exercice dans cette responsabilité attribuée « à vie ». Les hommes désignés comme « archontes » appartenaient alors systématiquement aux « Eupatrides », le groupe le plus élevé de l’aristocratie, à côté des familles royales. La mère de Platon, Périctioné, est elle‑même issue de deux lignées aristocratiques, avec deux archontes éponymes, dont Solon, élu archonte en 594/593 avant notre ère. Sa mère a un frère, Charmide. Platon eut deux frères, Adimante et Glaucon, et une soeur, Potone. De Critias, oncle de Platon, l'un des plus célèbres dialogues de Platon porte le nom, celui dans lequel il conte l'histoire de l'Atlantide. Les personnes qui ont déjà lu plusieurs dialogues ont reconnu des noms devenus des titres de ces Dialogues, et des personnages, notamment dans "La République". Or si de ses frères, rien de particulier n'est resté dans les mémoires, Critias, lui, en tant que membre dirigeant des Trente, a laissé, comme Achille, une trace indélébile dans la mémoire des Athéniens et plus largement des Grecs. En effet, comme l'écrit Peter Krentz dans "The Thirty at Athens" (Cornell University Press, publié en 1982), "au cours des huit mois qui suivirent", la prise du pouvoir par "les Trente", ceux-ci "provoquèrent une violente résistance. Ils exécutèrent de nombreux citoyens éminents et firent venir une garnison spartiate pour les aider dans la guerre civile. Lorsque la démocratie fut rétablie en 403, environ 1 500 personnes avaient trouvé la mort". A la fin de la guerre du Péloponnèse (404 av. J.-C.) la population totale d’Athènes aurait été comprise entre 120 000 et 180 000 habitants, soit moitié moins qu'avant la guerre (environ 35 000‑40 000 habitants dans la ville même, 25 000 autour du Pirée, 60 000 à 65 000 au total pour la zone urbaine immédiate). Dans une ville traumatisée par ses pertes humaines, massives, les Trente y ajoutent de nouvelles victimes, mais là, ce sont des citoyens athéniens qui tuent d'autres citoyens athéniens. Pour Platon, on est là face à ce qu'il y a de pire, une spirale meurtrière qui peut aller très loin et finit d'achever Athènes. Et son oncle est en cause dans cette situation, bien que, aux yeux de Platon, Critias ait été un formateur brillant - comme le fut Aristote pour le futur Alexandre le Grand. Concernant le Critias historique, un colloque interdisciplinaire s'est tenu à Bordeaux en 2009, sous le titre "La Muse au long couteau. Critias, de la création littéraire au terrorisme d'état".

https://ausoniuseditions.u-bordeaux-montaigne.fr/fr/scripta-antiqua/4130-la-muse-au-long-couteau-critias-de-la-creation-litteraire-au-terrorisme-d-etat.html

Si la famille est omniprésente dans les Dialogues, "La République" propose la première critique explicite et sensée de la famille. Et les premières pages mettent en scène d'autres figures historiques de l'époque de Platon. Le réseau de significations liées aux uns et aux autres est conséquent, lourd. Et pourtant, il a pu être ignoré ou minimisé. Pourquoi ? De Céphale, interlocuteur de Socrate au début de La République, nous savons que, "métèque" (un mot grec pour désigner des citoyens non athéniens, autorisés à résider à Athènes), il fut à la tête d'une famille, qui produisait et vendait des... armes. Or, dans ses échanges avec Socrate, celui-ci lui pose une question apparemment innocente, en lien avec ce sujet.

Le livre, "Platon, une introduction", est le premier qui consacre des développements sur ce sujet, à attirer l'attention sur ses "détails", en fait, essentiels. Leur prise en compte doit permettre de mieux comprendre les Dialogues, l'oeuvre, ses références et ses intentions.